Entrevue avec le major Samuel Amponsah, secrétaire général du secteur du Libéria Par Linda Leigh, rédactrice attitrée, Territoire du Canada et des Bermudes
Décrivez-nous la situation au Libéria depuis les 10 derniers mois et aujourd’hui.
L’épidémie d’Ebola a débuté en mars. C’était la première fois que cela arrivait avec une telle ampleur, et beaucoup de gens n’avaient pris aucune précaution. Ils pensaient que ça ne durerait pas. Par conséquent, l’épidémie s’est propagée d’un pays à un autre. Le Libéria, la Sierra Leone et la Guinée partagent une frontière.
Quand l’Ebola est arrivé dans les villes, le gouvernement a demandé à la population de réduire au minimum ses déplacements, mais des personnes contaminées étaient déjà entrées dans le pays. Le Libéria n’était pas préparé. Des mesures de protection n’avaient pas été mises en place, et le virus a commencé à faire des victimes.
À ce jour, on estime qu’environ 4 000 personnes en sont mortes au Libéria. On se demande si c’est entièrement attribuable à l’Ebola ou à d’autres causes, puisque la population ne se rend pas dans les cliniques, de peur d’être exposée au virus. Il y a beaucoup d’incertitude. Selon les nouvelles diffusées à la radio, le nombre de victimes diminue, mais d’autres sources disent que l’Ebola fait encore des ravages, et que des gens qui en sont atteints continuent d’être admis dans les cliniques.
Des enfants sont devenus orphelins et se retrouvent seuls chez eux, à la suite du décès de leurs parents. Il n’y a personne pour s’en occuper, et ils ont très peur.
La population vit dans la crainte de contracter l’Ebola. L’Armée du Salut se rend dans les collectivités les plus durement touchées pour distribuer de la nourriture. L’équipe chargée de la distribution prend des précautions : elle ne se tient pas trop près des résidents de ces collectivités, mais les invite à venir se procurer de la nourriture.
Quelles sont les difficultés auxquelles fait face l’Armée du Salut pour intervenir dans le cadre de l’épidémie?
Certaines collectivités sont tellement touchées que personne n’ose y aller. Dans d’autres, aucun intervenant n’est admis. Les besoins sont importants, et nos ressources sont limitées. Nous dépendons de ce que nous fournit l’Armée du Salut internationale.
Le gouvernement a ordonné la fermeture des écoles. D’autres établissements ont-ils été fermés, et quelle a été l’incidence sur les rassemblements dans nos églises?
En plus des écoles, certains services gouvernementaux sont fermés. Les personnes qui occupent des emplois non essentiels ne vont pas travailler. Les lieux de rassemblement public sont fermés. Les boutiques et les centres commerciaux sont ouverts, mais avec restrictions, et l’achalandage est réduit car tout le monde se montre prudent.
Dans les églises, y compris l’Armée du Salut, les congrégations se réunissent, mais elles ont pris des mesures préventives : les fidèles évitent de se serrer la main et de se toucher, puisque l’Ebola se transmet par des fluides corporels. À l’entrée des églises, il y a des seaux remplis d’eau chlorée pour que les gens puissent se laver les mains. Le chlore tue le virus. Les membres des congrégations n’utilisent ni serviette ni chiffon pour s’essuyer. La participation aux services du culte a diminué, mais nous sommes heureux de pouvoir encore nous rassembler pour nous encourager les uns les autres.
Quel soutien l’Armée du Salut offre-t-elle actuellement?
Au début, nous avons offert des produits de prévention, comme du désinfectant pour tuer le virus. Maintenant, nous veillons à procurer de la nourriture ainsi que des vêtements de protection pour le personnel des cliniques.
Outre l’Armée du Salut, d’autres organisations et ONG distribuent de la nourriture, compte tenu des besoins. Naturellement, lorsqu’il y a une augmentation de la demande, les prix sont en hausse. De plus, l’épidémie d’Ebola rend difficile l’approvisionnement en nourriture. Les compagnies aériennes ont restreint le nombre de leurs vols. Avant l’épidémie, un sac de riz de 25 kg se vendait 29 $ US. Maintenant, c’est 40 $ US. Presque tout a doublé.
Quels sont les points forts de l’Armée du Salut?
Sur place, nous disposons d’une équipe bien entraînée. Deux de nos officiers ont suivi une formation en matière de protection civile au Nigéria en septembre 2013. Des mesures préventives ont été établies. Nous avons coordonné le soutien offert par le Quartier général international, qui se tient régulièrement au courant, sollicite des observations et fournit des conseils.
Le matériel et les produits que nous utilisons peuvent être obtenus et achetés localement.
Avez-vous un cas à nous raconter au sujet d’une personne ou d’une famille touchée par la maladie pour nous aider à mieux comprendre la gravité de la situation?
Le sergent-major du poste de Monrovia (la capitale du Libéria) a été infecté par le virus Ebola et est décédé le dimanche 26 octobre. Il était directeur de l’école secondaire William-Booth et un remarquable gestionnaire de l’Armée du Salut. Sa mort a porté un coup terrible aux salutistes. Son épouse, sa mère et ses enfants (âgés de 10, 7 et 6 ans) ont été soumis à une quarantaine dans leur maison pendant 21 jours. L’Armée du Salut communique avec eux par téléphone à toute heure. Trois semaines avant d’apprendre qu’il avait la maladie, il s’est rendu au bureau des œuvres éducatives du quartier général de secteur. Nous sommes toujours inquiets lorsque quelqu’un y va. Nous ne savons jamais où il est allé ou si des personnes contaminées l’ont touché.
Dans une collectivité où l’Armée du Salut distribue de la nourriture, une femme a perdu son mari à cause de l’Ebola. Il pourvoyait aux besoins de la famille (qui compte deux enfants de moins de 10 ans). La dame est enseignante, et les écoles sont fermées. Lorsqu’il n’y a aucune classe, les enseignants ne sont pas payés.
Quelle a été l’incidence de l’épidémie sur le personnel et les bénévoles de l’Armée du Salut?
Les enseignants de nos quinze écoles privées qui ont été fermées donnent des formations sur la santé. Ils sont rémunérés à l’aide des frais de scolarité, c’est pourquoi la fermeture des écoles entraîne des conséquences pour eux. Ils n’ont reçu aucune paie depuis le mois d’août, et le gouvernement ne prévoit pas autoriser la réouverture des écoles avant janvier, à condition qu’il n’y ait plus d’épidémie.
Notre clinique est fermée. Nos travailleurs sont sans salaire depuis trois mois. C’est une situation très pénible pour eux.
Les bénévoles, qu’ils soient salutistes ou non, risquent leur vie pour aider les collectivités touchées.
Pour la suite des choses, quel sera le rôle de l’Armée du Salut?
Beaucoup d’enfants sont devenus orphelins après le décès de leurs parents ou tuteurs. Ces enfants auront besoin d’aller à l’école et de recevoir de l’assistance de base. Nous entreprendrons une évaluation des besoins et mettrons en œuvre un plan d’action une fois que l’épidémie prendra fin.
De nombreuses collectivités ont besoin de nourriture. Nous prévoyons que ce sera à long terme. Nous avons besoin du soutien du QGI.
Nous continuons d’assister aux rencontres organisées par l’ONU au cours desquelles nous discutons d’aspects qui nécessitent une plus grande attention et de l’assignation des domaines d’intervention, et déterminons les collectivités qui ont encore besoin d’assistance.
L’Armée du Salut continue de distribuer de la nourriture et du matériel de protection. Nous étudierons les meilleurs moyens de venir en aide aux orphelins, et nous espérons fournir des antibiotiques aux cliniques communautaires.
De quelle manière la communauté internationale peut-elle vous soutenir?
En raison des restrictions concernant le déplacement des personnes et des véhicules, il semble que la distribution de nourriture constitue actuellement l’aspect le plus prioritaire. Nous avons besoin d’appui pour en assurer le financement. Nous parcourons de grandes distances pour obtenir de meilleurs prix. Nous vous prions de ne pas nous oublier.